96 médias du monde entier membres du Consortium international pour le journalisme d’investigation (ICIJ) ont commencé il y a une semaine la publication de révélations sur la finance offshore dans le cadre des Paradise Papers. Cette enquête a mobilisé pendant un an plus de 400 journalistes qui ont analysé quelques 13,5 millions de documents.

Début 2017, une enquête de l’institut Kantar pour le quotidien La Croix, relevait une confiance des Français dans l’information relayée par les médias historiquement basse, et une défiance envers les journalistes considérés par 67 % des sondés comme manquant d’indépendance. Le travail de fond que nous découvrons est à l’honneur d’une profession dont la liberté est une condition de la vie démocratique.

Les Paradise Papers, comme les Panama Papers avant eux, ont le très grand mérite d’alerter l’opinion publique du monde entier sur les pratiques d’évasion et de fraude fiscales, et ce faisant d’accroître la pression internationale sur tous les pays pour renforcer leur niveau de coopération et mettre fin aux pratiques opaques. Les fraudeurs savent qu’ils sont désormais dans le viseur des Etats mais aussi des journalistes et des lanceurs d’alerte.

Les révélations touchent des multinationales comme des personnalités. Certaines concernent des infractions mais beaucoup semblent, d’après les spécialistes, relever de l’optimisation fiscale agressive, une pratique qui consiste à tirer parti des subtilités d’un système fiscal ou des incohérences entre plusieurs systèmes fiscaux pour réduire l’impôt à payer. L’indignation est légitime car ces pratiques agressives visent à réduire la charge fiscale de quelques-uns, sociétés ou particuliers, en transférant celle-ci sur l’ensemble des contribuables que nous sommes, appelés à compenser ce que d’autres ne paient pas.

« No taxation without representation » : la révolution américaine est née d’une révolte fiscale des colons américains contre la couronne britannique. Celle-ci, au lendemain de la guerre de sept ans (1756-1763), impose une série de taxes aux colons de Nouvelle-Angleterre, sans le consentement de ces derniers qui ne sont pas représentés au Parlement britannique. Le principe du consentement à l’impôt est l’un des points de départ du parlementarisme moderne.

L’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dit que : « la contribution commune doit être également répartie entre les citoyens à raison de leurs facultés ». L’article 14 que : « tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

Le refus du consentement à l’impôt est une atteinte portée à la cohésion du corps social et le point de départ d’une contestation de la démocratie. C’est mon premier motif d’indignation avant le constat du manque à gagner pour le budget de l’Etat, estimé entre 30 et 60 milliards d’euros.

Pour légitime qu’elle soit, l’indignation ne doit pas faire oublier les importants progrès réalisés depuis le début de la crise économique. La lutte contre les paradis fiscaux est devenue une priorité du G20 lors de sa réunion de Londres en 2009. On s’est d’abord attaqué au secret bancaire. Trois ans après, en 2012, le communiqué final du G20 annonce que les pays membres — qui représentent, rappelons-le, 85 % de l’économie mondiale — vont désormais s’attaquer aux pratiques fiscales agressives des grandes entreprises, en s’appuyant sur les travaux de l’OCDE. L’Europe de son côté a pris deux directives sur le sujet.

La fraude fiscale, l’évasion fiscale et les pratiques d’optimisation fiscale agressive qui se situent dans la zone grise entre le légal et l’illégal, doivent être combattues sans relâche.

A l’échelle nationale, la France se veut exemplaire. 150 enquêtes ont été lancées dans 79 pays après la publication des Panama Papers. La France échange des renseignements avec plus de 160 pays. Nos outils se renforcent, avec l’entrée en vigueur de l’échange automatique d’informations sur les comptes financiers dans 49 états, dont l’ensemble des États membres de l’Union européenne, et une centaine à partir du 1er septembre 2018, dont la Suisse et le Panama. Le Service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), qui permettait depuis 2013 aux contribuables qui avaient des avoirs non déclarés à l’étranger de régulariser leur situation avec des pénalités réduites, sera fermé au 31 décembre 2017.

Au niveau international, la France joue depuis une dizaine d’années un rôle moteur dans la lutte pour la transparence. Dernièrement, la France a pris part active à l’adoption de la convention multilatérale de l’OCDE luttant contre l’optimisation fiscale modifiant les conventions fiscales bilatérales liant 70 pays. Elle est à l’origine de l’initiative européenne en cours sur la fiscalité du numérique, qui rassemble à ce jour une dizaine d’États membres.
Ces révélations doivent néanmoins nous inciter à aller plus loin.

Au niveau national, le Gouvernement a annoncé son intention de se situer dans une logique de tolérance 0 à l’égard des fraudeurs. Le Gouvernement souhaite notamment renforcer les moyens à la disposition de l’administration pour cibler ses contrôles, car c’est la clé de l’efficacité en matière de contrôle fiscal. Ce sera une priorité de la modernisation des administrations conduite dans le cadre d’Action Publique 2022.

Au niveau international, les accords sur l’échange d’information sont un progrès. Encore faut-il qu’ils soient respectés. Il convient de sanctionner les pays qui se sont engagés à coopérer, mais ne le font pas, en conditionnant par exemple leur accès au financement des grands organismes internationaux comme le FMI ou la Banque mondiale. C’est la proposition faite par le ministre de l’Economie à ses collègues européens le mardi 7 novembre. Il convient de nommer les pays qui ne jouent pas le jeu. L’Union européenne doit se doter d’ici la fin de l’année d’une liste de juridictions non coopératives, et mettre en place un dispositif de sanctions appropriées.

D’un point de vue politique, l’Europe doit relever le défi de l’équité sociale et de l’efficacité fiscale. Cela pose la question de la convergence des fiscalités au sein de l’Union européenne. La fiscalité étant du ressort de la souveraineté des Etats, toute avancée suppose l’unanimité. Ne nous le cachons pas, c’est une vraie difficulté mais ce n’est pas hors d’atteinte en remettant de la politique dans la construction européenne. C’est l’ambition du Président de la République, c’est le sens des mesures prises cet été, c’est l’esprit du projet de loi de Finances 2018 pour que la France sorte enfin de la procédure pour déficit excessif, car nous ne pouvons pas convaincre sans respecter les mêmes règles budgétaires que nos partenaires européens.

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